Les acteurs impliqués dans les filières des fibres végétales et naturelles se sont donnés rendez-vous le 08 septembre 2023 à Châlons-en-Champagne, pour les rencontres inter-régionales organisées par les Régions Grand Est, Hauts-de-France et Normandie, en partenariat avec B4C. Cet évènement a été l’occasion de dresser un panorama des différentes filières de fibres végétales et naturelles en mettant l’accent sur le succès de collaborations entre les acteurs de l’écosystème des fibres.
Cet article s’appuie sur les interventions d’acteurs régionaux et nationaux présents lors de tables rondes [1], au cours desquelles ils ont publiquement partagé leur expertise.
La réitération d’une collaboration vertueuse entre les Régions Grand Est, Hauts-de-France et Normandie
Cette journée de conférences et d’échanges fait suite à la volonté des trois Régions de travailler ensemble à l’accélération du développement des filières de la bioéconomie dans les territoires. La priorité a été donnée aux marchés des « nouvelles sources de protéines » et des « fibres naturelles ». Deux thématiques de la bioéconomie sur lesquelles ces trois régions sont bien positionnées et complémentaires. Les Régions Grand Est, Hauts-de-France, et Normandie consolident et affirment ainsi leur leadership sur ces deux filières clés. À ce jour, deux appels à manifestations d’intérêts (AMI) ont été lancés sur ces deux thématiques.
La valorisation des fibres naturelles en matériaux, de quoi parle-t-on ?
Les fibres issues de la biomasse végétale et animale se divisent en deux catégories selon leur origine : [2]
- Les fibres végétales, qui englobent les fibres issues des poils séminaux des graines (coton, etc.), les fibres libériennes extraites de la partie externe de la tige (lin, chanvre, jute, etc.), de fibres dures extraites de feuilles (sisal, etc.), de troncs (bananier, etc..) ou d’enveloppes de fruits (noix de coco, etc.) ;
- Les fibres animales proviennent des poils, telles que le pelage laineux des ovidés, ou de sécrétion telle que la soie.
La valorisation de ces dernières repose sur la structuration de filières au sein des territoires. Dans ce document, le choix s’est porté sur la description de certaines filières de fibres végétales et naturelles présentes dans les trois régions : la filière bois, la filière lin, la filière chanvre, la filière laine, la filière ortie et la filière miscanthus.
Au sein des trois régions, deux états de maturité de ces filières se distinguent :
- Les filières dites matures regroupant les fibres de bois, de chanvre et de lin,
- Les filières dites émergentes comprenant les fibres de laine, d’ortie et de miscanthus.
L’extraction des fibres végétales varie en fonction de la biomasse concernée, de la localisation de la fibre au sein de la biomasse et de l’objectif visé. Différents types de fractions peuvent être obtenus à partir des biomasses récoltées (bois rond, paille, pelage) : fibre, copeau, granulat, farine, pâte cellulosique, etc. Chaque fraction est préparée et travaillée afin de s’adapter à des besoins applicatifs spécifiques.
Aujourd’hui, la valorisation des fibres naturelles en matériaux se concentre sur six grands domaines d’applications : l’ameublement, le bâtiment, l’emballage, le sport et loisir, le textile et le transport.
Une multitude de filières : découvrez leurs spécificités et niveaux de développement
La filière bois répond à une demande croissante dans le secteur de la construction. Le bois se présente comme une alternative aux matériaux non renouvelables tels que le métal ou le béton et il agit comme un puit de carbone naturel. Dans le contexte de la stratégie Bas-Carbone, la disponibilité de cette ressource revêt une importance cruciale. Par conséquent, la gestion durable des forêts, mettant en avant une vision multifonctionnelle et équilibrée, est une priorité. De plus, l’acceptabilité sociale de l’exploitation forestière est également prise en compte.
La filière bois est à la croisée de nombreux défis, notamment le dérèglement climatique qui rend les forêts vulnérables, une concurrence internationale croissante et un manque d’attrait pour les métiers associés. Des perspectives d’amélioration émergent, telles que le développement de la communication autour de la forêt et des métiers associés, l’approfondissement des connaissances sur la construction bois et les isolants biosourcés, ainsi que l’exploration des multiples usages du bois et de ses coproduits.
La filière lin, est mature et structurée pour le textile (90% des débouchés, 10% restants étant les usages techniques). La demande en lin est en constante augmentation. Afin de répondre aux besoins du marché, la filière s’adapte en augmentant sa capacité de production. Parallèlement, elle améliore la gestion des cultures en implantant à la fois du lin de printemps et du lin d’hiver tout en améliorant sa résilience.
L’Alliance pour le Lin et le Chanvre Européen travaille au renforcement de la marque d’origine de la fibre European Flax TM par le développement d’outils de traçabilité digitale, d’empreinte environnementale (dont une Analyse du Cycle de Vie sur la fibre teillée, réalisée avec la collaboration de ses adhérents ainsi que d’Arvalis et d’Inagro), d’études sur les propriétés remarquables et d’une description des fibres longues par imagerie optique.
Concernant les composites, il reste à poursuivre la dynamique d’industrialisation des solutions en accompagnant les acteurs sur les volets techniques et l’évaluation environnementale des produits. De nouvelles initiatives émergent, cherchant à optimiser leur formulation en associant des fibres de lin à des résines biosourcées ou recyclées.
La filière chanvre française, est structurée et dynamique.[3] Le chanvre présente de nombreux intérêt agronomiques (peu exigeantes en intrants, peu consommatrice d’eau, améliore la structure des sols et sa fertilité). Sa culture participe à l’allongement et la diversification des rotations.
Concernant la demande, la filière chanvre textile connaît un regain d’intérêt, notamment grâce à la mode écoresponsable. Dans l’industrie automobile, la volonté est de réduire son empreinte carbone, et la tendance du ‘visible green’ accentue l’utilisation des éco-matériaux dans ce secteur. Dans le domaine de la construction, un travail sur la reconnaissance de certains atouts du chanvre reste à poursuivre, tels que sa fonction hygrothermique. Une étude menée par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cérema) démontre que l’utilisation du béton de chanvre pourrait réduire jusqu’à 70% les besoins en chauffage pour un bâtiment performant thermiquement. La filière chanvre collabore également avec d’autres filières comme le bois, pour proposer des solutions synergiques pour le bâtiment.
Par ailleurs, les acteurs cherchent à développer d’autres applications du chanvre, à diversifier la clientèle, et à anticiper la question de la fin de vie du chanvre en termes de recyclabilité.
La filière laine, longtemps délaissée, fait son grand retour. L’enjeu est de taille car il faut repartir de zéro et réapprendre le savoir-faire de nos anciens. Des initiatives sont lancées, telles que la réindustrialisation d’une unité industrielle de transformation de laine locale en feutre et en matériaux d’isolation, ainsi que l’organisation de la collecte de laine jusque-là exportée sans création de valeur vers l’hémisphère nord et sud. En termes de débouchés, le textile, et l’isolation des bâtiments, en association avec les autres fibres biosourcées sont les deux principaux moteurs de cette réindustrialisation.
La filière laine souffre d’un manque de compétitivité face aux fibres synthétiques dans le secteur du textile et face aux ressources minérales dans le secteur du bâtiment. Cependant, des pistes d’amélioration sont suggérées, telles que la révision de l’organisation logistique en amont pour la collecte, l’établissement de référentiels et de certifications, la valorisation des coproduits, la réflexion sur une meilleure gestion de l’eau et de l’énergie, ainsi que la proposition d’une offre de formation pour réintégrer les compétences du secteur.
La filière ortie est en émergence. Pour le moment, elle fournit des petits volumes compte tenu de la faible présence des cultures en France et en Europe. La fibre d’ortie offre des caractéristiques techniques remarquables (longueur, résistance, légèreté, douceur, thermorégulation, etc.) ainsi qu’un mode de culture vertueux et résilient. À titre d’illustration, l’ortie peut être utilisée dans des applications de phytoépuration et s’adapte à des climats très différents (cultures en Finlande, en Italie et en Tunisie).
La fibre d’ortie présente de nombreux potentiels. Elle pourrait trouver sa place dans l’industrie du textile en France et dans la création de matériaux composites.
Pour favoriser une augmentation des volumes produits, il est nécessaire d’inciter les agriculteurs à cultiver de l’ortie, en élaborant notamment un itinéraire technique optimisé.
La filière miscanthus poursuit son développement, avec une progression de 16% par an observée depuis 2017 [4]. Actuellement, les fibres courtes sont bien développées. Elles concernent principalement l’usage en paillage horticole, en litière animalière et en énergie. D’autres débouchés se développent, notamment pour les usages dans le bâtiment et dans l’automobile, sous forme de composites.
Le miscanthus peut contribuer à la stratégie nationale bas-carbone. Il est important de promouvoir les échanges entre agriculteurs, industriels et élus pour stimuler la demande.
Un écosystème en foisonnement : l’efficience des collaborations inter-filières et inter-régionales
Lors de cette journée, les intervenants aux différentes tables rondes ont également souligné l’importance des collaborations inter-filières, inter-régionales et européennes. Elles ont permis de :
- Dupliquer et décloisonner les expériences,
- Établir des collaborations transverses avec différents acteurs de l’écosystème,
- Opérer un modèle de coopération transfrontalière et européenne,
- Associer les fibres similaires entre-elles.
Promouvoir le développement des fibres naturelles : les perspectives
Les fibres naturelles ont un bel avenir devant elles ! Ces matières biosourcées contribuent à répondre aux enjeux de décarbonation, de relocalisation et de transition agroécologique. Le marché du biosourcé est en pleine expansion. Il est d’ailleurs soutenu par la stratégie d’accélération produits biosourcés et carburants durables. Bien plus qu’une tendance, ce marché s’impose comme une alternative idéale et une source d’innovation dans de nombreux secteurs. La réglementation, en particulier la RE2020 dans le bâtiment, impulse une dynamique et constitue un véritable levier.
De nouveaux segments de marché pourraient voir le jour avec la complémentarité entre les fibres. La filière de l’ortie nécessite un approfondissement sur le plan agronomique. Les travaux de R&D réalisés sur la valorisation du miscanthus doivent se poursuivre vers des voies de commercialisation.
L’objectif pour des filière émergentes est de maîtriser la chaîne de valeur, de la génétique à la distribution, d’assurer un volume permettant un passage à une plus grande échelle et densifier le maillage d’acteurs industriels. C’est-à-dire un maillage formé d’une variété d’entreprises intervenant à différents niveaux de la chaîne de valeur.
Au niveau de l’environnement concurrentiel, il est important de considérer la complémentarité les fibres naturelles avec des fibres synthétiques (verre, carbone). En effet, la valorisation de ces fibres est conditionnée par leur capacité à apporter des propriétés différenciantes. Elles peuvent porter sur les performances techniques (performance mécanique, légèreté, amortissement, isolation, absorption/désorption, bilan carbone faible), les caractéristiques ou les fonctionnalités nouvelles et sur l’amélioration du résultat de l’Analyse du Cycle de Vie (ACV).
Ainsi, les fibres naturelles doivent trouver leur place sur les marchés existants par ces biais-là et faire émerger de nouveaux marchés en assurant un certain volume.
Conclusion de cette rencontre : un travail commun où chaque acteur de l’écosystème à un rôle à jouer.
Les différentes filières de fibres naturelles présentent des niveaux de structuration variés. Cette structuration dépend de la capacité des acteurs de la filière à s’organiser pour assurer un volume et mettre en place des innovations impliquant toute une chaîne de valeur.
Chaque chaîne de valeur est spécifique en fonction des besoins et des contraintes du marché, des parties prenantes et des territoires. Ainsi, la structuration de ces filières soulève un certain nombre de freins au développement. C’est pourquoi, le soutien des régions est donc incontournable pour aider et guider les acteurs à déployer des filières rémunératrices s’inscrivant dans une double démarche de développement durable et d’économie circulaire.
L’organisation de rencontres inter-régionales est une occasion pour les acteurs de partager les enjeux des filières, leur expérience et de donner du poids à leurs demandes. Cette journée a été l’occasion de souligner la nécessité de former, réglementer, accompagner et collaborer au sein des filières du biosourcé.
Références :
[1] Acteurs régionaux et nationaux présents lors de tables rondes
Vision régionale : Marie-Sophie LESNE – Vice-Présidente en charge de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Pêche, Région Hauts-de-France, Clotilde EUDIER, – Vice-Présidente en charge de l’Agriculture et des Ressources Marines, Région Normandie, Franck LEROY
Président, Région Grand Est et Philippe MANGIN – Vice-Président en charge de la Bioéconomie, des Bioénergies et de l’Alimentation Durable, Région Grand Est
Filière bois : Sacha JUNG, Délégué Général – FIBOIS Grand Est et Jérémie BOUCHER, Directeur Recherche et Développement – Pavatex
Filière lin : Sophie MAYER, Déléguée Générale – Cipalin et Anne NIZERY, Responsable marketing – Terre de Lin
Filière chanvre : Nathalie FICHAUX, Directrice – InterChanvre et Thibaud DEBUISSY, Advanced Engineering Manager – Forvia Materi’act
Filière laine : Stéphane ERMANN, Président – Mos Laine et Cédric AUPLAT, Président – Collectif Tricolor
Filière ortie : César SEGOVIA, Responsable Projet Recherche – CETELOR et Christophe LEMAIRE, Président – Bastien Tissages Techniques
Filière miscanthus : Guillaume LERICHE, Dirigeant – Rhizosfer et Christophe LAGRANGE, Directeur de l’Offre – Alkern
Perspectives de filières : Cédric AUPLAT, Président – Peignage Dumortier, Pierre BONO, Directeur Général – FRD-CODEM et Jean BAUSSET, Bioeconomy Manager, Bio-based Materials – B4C
Sources bibliographiques en complément de la prise de notes de cette journée :
[2] Christophe BALEY, « Fibres naturelles de renfort pour matériaux composites », article techniques de l’ingénieur, disponible en ligne : https://www.techniques-ingenieur.fr/base-documentaire/archives-th12/archives-materiaux-fonctionnels-materiaux-biosources-tian0/archive-1/fibres-naturelles-de-renfort-pour-materiaux-composites-n2220/presentation-des-differentes-fibres-naturelles-n2220niv10002.html#figure-sl2512899-web
[3] Nathalie Fichaux, « Une filière chanvre française structurée et dynamique », retranscription d’une interview sur apecita, disponible en ligne : https://www.apecita.com/actualites/une-filiere-chanvre-francaise-structuree-et-dynamique
[4] PAC, « Les chiffres de la filière française », site internet France Miscanthus, disponible en ligne : https://france-miscanthus.org/le-miscanthus-en-chiffres/
[5] Quotatis, « Les matériaux biosourcés : un marché en plein essor », article de blog, disponible en ligne : https://lecoindespros.quotatis.fr/nos-conseils-metiers/les-materiaux-biosources-un-marche-en-plein-essor/
Travaux collaboratifs par Fibres Recherche Développement et Bioeconomy for change photos, « Panorama des marchés « Fibres végétales technique en matériaux » (hors bois) en France, Mémento 2020, disponible en ligne : https://www.f-r-d.fr/etudes/m%C3%A9mento-2020/